17

 

L’agent Jones revint dans la pièce, et tint la porte ouverte pour laisser le passage à Clarissa.

— Entrez donc, je vous prie, Mrs Hailsham-Brown, lança l’inspecteur.

Tandis que Clarissa entrait, sir Rowland s’approcha d’elle. Il s’exprima avec solennité :

— Clarissa, ma chérie, feras-tu ce que je te demande ? Je veux que tu dises la vérité à l’inspecteur.

— La vérité ? répéta Clarissa, l’air très sceptique.

— La vérité, insista sir Rowland avec emphase. C’est la seule chose à faire. Je t’assure. Sérieusement.

Il la regarda fixement et très gravement un instant, puis quitta la pièce. L’agent Jones ferma la porte derrière lui et reprit place pour prendre ses notes.

— Veuillez vous asseoir, Mrs Hailsham-Brown, invita l’inspecteur Lord, cette fois en indiquant le canapé.

Clarissa lui sourit, mais le regard qu’il lui lança était sévère. Elle se dirigea lentement vers le canapé, s’assit, et attendit un instant avant de parler :

— Je suis désolée. Je suis vraiment désolée de vous avoir raconté tous ces mensonges. Ce n’était pas mon intention.

Elle avait réellement l’air attristé.

— On est emportés par la situation, si vous voyez ce que je veux dire ?

— Je ne vois pas encore pour l’instant, répondit froidement l’inspecteur Lord. Et maintenant, veuillez simplement me donner les faits.

— Eh bien, tout est très simple, en réalité, expliqua-t-elle en comptant les faits sur ses doigts. D’abord, Oliver Costello est parti. Ensuite, Henry est rentré. Ensuite, je l’ai accompagné jusqu’à sa voiture, et il est reparti. Puis je suis entrée ici avec les sandwiches.

— Les sandwiches ? interrogea l’inspecteur.

— Oui. Voyez-vous, mon mari doit amener ici un délégué étranger très important.

L’inspecteur Lord parut intéressé.

— Oh, qui est ce délégué ?

— Un certain Mr Jones, lui dit Clarissa.

— Je vous demande pardon ? dit l’inspecteur en regardant son agent.

— Mr Jones. Ce n’est pas son vrai nom, mais c’est ainsi que nous devons l’appeler. Tout ça est très confidentiel. Ils devaient manger les sandwiches tout en discutant, et je devais manger la mousse au chocolat dans la salle de classe.

L’inspecteur Lord paraissait perplexe.

— La mousse dans la… oui, je vois, murmura-t-il, l’air de ne rien voir du tout.

— J’ai posé les sandwiches là, dit Clarissa en indiquant le tabouret, et je me suis mise à ranger un peu. Je suis allée remettre un livre sur l’étagère et… puis… et puis je suis pratiquement tombée dessus.

— Vous avez trébuché sur le corps ? demanda l’inspecteur.

— Oui. Il était là, derrière le canapé. Et je l’ai examiné pour voir s’il… s’il était mort, et il l’était. C’était Oliver Costello, et je ne savais pas quoi faire. Finalement, j’ai téléphoné au club de golf, et j’ai demandé à sir Rowland, à Mr Birch et à Jeremy Warrender de revenir tout de suite.

Penché au-dessus du canapé, l’inspecteur Lord demanda froidement :

— Il ne vous est pas venu l’idée d’appeler la police ?

— Eh bien, cela m’est venu à l’esprit, si, répondit Clarissa, mais ensuite… eh bien… (Elle lui sourit à nouveau.) Eh bien, je ne l’ai pas fait.

— Vous ne l’avez pas fait, murmura l’inspecteur pour lui-même. Il s’éloigna, regarda l’agent Jones, leva les mains d’un geste désespéré, et revint vers Clarissa.

— Pourquoi n’avez-vous pas appelé la police ?

Clarissa était prête à répondre à cette question :

— Eh bien, j’ai pensé que ce ne serait pas bien pour mon mari. Je ne sais pas si vous connaissez beaucoup de gens au Foreign Office, inspecteur, mais ils sont d’une modestie effrayante. Ils aiment que tout soit très discret, que rien ne se remarque. Vous devez reconnaître que les meurtres ont tendance à faire du bruit.

— Tout à fait, fut tout ce que l’inspecteur Lord trouva à répondre à cela.

— Je suis si heureuse que vous compreniez ! lui dit Clarissa avec chaleur, et presque avec effusion.

Elle continua son histoire, mais son récit devint de moins en moins convaincant, car elle commençait à sentir qu’elle ne progressait pas.

— C’est-à-dire, il était vraiment mort, parce que j’ai tâté son pouls, de sorte que nous ne pouvions rien faire pour lui.

L’inspecteur faisait les cent pas, sans répondre. En le suivant des yeux, Clarissa continua :

— Ce que je veux dire, c’est qu’il pouvait tout aussi bien être mort à Marsden Wood que dans notre salon.

L’inspecteur Lord se retourna brusquement.

— Marsden Wood ? demanda-t-il. Qu’est-ce que Marsden Wood vient faire là-dedans ?

— C’est là que je pensais le mettre, répondit Clarissa.

L’inspecteur porta une main à sa nuque, et regarda le sol comme s’il y cherchait l’inspiration. Puis, secouant la tête pour s’éclaircir les idées, il déclara fermement :

— Mrs Hailsham-Brown, n’avez-vous jamais entendu dire qu’un cadavre, s’il y a le moindre signe d’un acte criminel, ne doit jamais être déplacé ?

— Bien sûr que je le sais, rétorqua Clarissa. C’est ce qu’on dit dans tous les romans policiers. Mais, vous comprenez, nous sommes dans la vie réelle.

L’inspecteur Lord leva les mains d’un air désespéré.

— Voyez-vous, continua-t-elle, les choses sont très différentes dans la vie réelle.

L’inspecteur considéra Clarissa dans un silence incrédule pendant un moment, avant de lui demander :

— Vous rendez-vous compte de la gravité de ce que vous dites ?

— Bien sûr que oui, et je vous dis la vérité. Donc, voyez-vous, finalement, j’ai appelé le club et ils sont tous revenus ici.

— Et vous les avez persuadés de cacher le corps dans cette alcôve.

— Non, rectifia Clarissa. C’est venu plus tard. Mon plan, comme je vous l’ai dit, était qu’ils emmènent le corps d’Oliver dans sa voiture, et qu’ils laissent la voiture dans Marsden Wood.

— Et ils ont accepté ?

Le ton de l’inspecteur Lord était nettement incrédule.

— Oui, ils ont accepté, dit Clarissa en lui souriant.

— Franchement, Mrs Hailsham-Brown, dit l’inspecteur Lord avec brusquerie, je n’en crois pas un mot. Je ne crois pas que trois hommes responsables puissent accepter de faire obstruction à la justice de cette façon pour une cause aussi dérisoire.

Clarissa se leva. S’éloignant de l’inspecteur, elle déclara, plus pour elle-même qu’à son adresse :

— Je savais que vous ne me croiriez pas si je vous disais la vérité. (Elle se retourna pour lui faire face.) Que croyez-vous, alors ?

Surveillant Clarissa de près tout en parlant, l’inspecteur Lord répondit :

— Je ne peux voir qu’une seule raison pour laquelle ces trois hommes auraient accepté de mentir.

— Oh ? Que voulez-vous dire ? Quelle autre raison pouvaient-ils avoir ?

— Ils auraient accepté de mentir, continua l’inspecteur, s’ils croyaient, ou, à plus forte raison, s’ils savaient, en fait que vous l’aviez tué.

Clarissa ouvrit grands les yeux.

— Mais je n’avais aucune raison de le tuer ! protesta-t-elle. Absolument aucune. (Elle s’écarta vivement de lui.) Oh je savais que vous réagiriez de cette façon ! C’est pourquoi…

Elle s’interrompit tout à coup, et l’inspecteur Lord se tourna vers elle.

— C’est pourquoi quoi ?

Clarissa réfléchit. Quelques instants passèrent, puis son attitude parut changer. Elle se mit à parler de façon plus convaincante.

— Très bien, annonça-t-elle avec l’air de quelqu’un qui soulage sa conscience. Je vais vous dire pourquoi.

— Je crois que ce serait plus sage, dit l’inspecteur Lord.

— Oui, dit-elle en le regardant dans les yeux. Je suppose que je ferais mieux de vous dire la vérité.

Elle insista sur le mot.

L’inspecteur sourit.

— Je puis vous assurer, conseilla-t-il, que raconter un tas de mensonges à la police ne vous servira pas à grand-chose, Mrs Hailsham-Brown. Vous feriez mieux de me dire ce qui s’est vraiment passé. Et depuis le début.

— Je vais le faire. (Elle s’assit sur une chaise devant la table de bridge.) Oh, mon Dieu ! soupira-t-elle, moi qui me croyais si rusée.

— Il vaut bien mieux ne pas chercher à se montrer rusé. (L’inspecteur Lord s’assit face à Clarissa.) Bon, alors, que s’est-il vraiment passé ce soir ?

La toile d'araignée
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